Mouton trop cher, éleveurs oubliés, vendeurs rackettés : qui profite de la Tabaski ?
Par Sidy Saloum FALL – Président de l’APROVIS (Association des Professionnels de la Viande du Sénégal)
CHAPEAU :
Chaque année, à l’approche de la Tabaski, le même scénario se répète : les prix flambent, les éleveurs crient au manque de soutien, les vendeurs sont asphyxiés par les frais, et les familles sénégalaises s’endettent pour respecter une tradition. Derrière le mouton sacrifié, ce sont des milliers de professionnels de la filière ovine qui le sont à leur tour. Qui contrôle vraiment ce marché ? Qui en tire profit ? Certainement pas ceux qui nourrissent, transportent et vendent les moutons. Il est temps de mettre fin à cette injustice structurelle.
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La Tabaski est, pour les Sénégalais, une fête religieuse et familiale sacrée. Mais, pour les acteurs de la filière ovine, elle se transforme en un véritable casse-tête. Les éleveurs, les transporteurs, les commerçants et même les consommateurs sont confrontés à une série de défis qui semblent s’aggraver année après année. Pourquoi ? Parce que l’absence d’une stratégie nationale sérieuse et coordonnée laisse place à la précarité, à l’injustice et à la spéculation.
- DES ÉLEVEURS EN DIFFICULTÉ FACE À L’ABSENCE DE SOUTIEN STRUCTURÉ
Le coût du sac de tourteau a doublé en quelques années, passant de 7 500 F à plus de 14 000 F. Les coûts de l’embouche ovine ont explosé : foin, eau, médicaments, main-d’œuvre. En revanche, les aides ou subventions pour soutenir les éleveurs restent inexistantes ou inaccessible à 90% des producteurs, surtout dans les zones rurales. Cette situation est désastreuse : des animaux sous-alimentés, des pertes économiques énormes, et des éleveurs de plus en plus découragés, alors que la demande augmente chaque année.
- DES TRANSPORTEURS ET COMMERCANTS LIVRÉS À EUX-MÊMES
Les transporteurs, eux, sont contraints de transporter les moutons dans des conditions précaires. Aucun couloir logistique sécurisé n’existe, les routes sont dégradées et les péages, ainsi que des frais informels, grèvent le budget de ces professionnels. En moyenne, un camion chargé de moutons doit s’acquitter de 40 000 à 80 000 F de péages et de contrôles. Ce coût est difficilement supportable, d’autant plus que ces frais ne sont pas accompagnés de soutien ou de facilitation par l’État.
- DES PARCS DE VENTE NON AMÉNAGÉS, NON RÉGULÉS
Les parcs de vente dans des villes comme Dakar, Pikine, Rufisque et Thiès manquent cruellement d’infrastructures de base : pas d’eau, pas d’électricité, pas de sanitaires. La location des emplacements dans ces parcs est souvent excessive, atteignant jusqu’à 300 000 F pour un espace minuscule. Cette situation pénalise gravement les petits commerçants et favorise la spéculation. De plus, il n’existe aucune régulation ni organisation des espaces, et les conditions sanitaires sont négligées.
- DES CONSOMMATEURS PRIS EN OTAGE D’UN MARCHÉ LIBÉRALISÉ SANS CONTRÔLE
Pour les familles sénégalaises, la Tabaski devient un fardeau économique. Le prix moyen d’un mouton à Dakar en 2024 a dépassé les 120 000 F CFA, une somme insurmontable pour une grande partie de la population. Les importations de moutons du Mali et de la Mauritanie, autrefois un facteur de régulation des prix, ne jouent plus leur rôle. Les intermédiaires captent la majeure partie des marges, tandis que l’État ne met en place aucun dispositif de contrôle des prix ni de régulation effective.
- UN MANQUE DE VISION GLOBALE DE L’ÉTAT : L’URGENCE D’UNE POLITIQUE PUBLIQUE POUR LA TABASKI
L’absence de planification officielle de la filière ovine pour la Tabaski est un autre problème majeur. Aucun calendrier national n’est prévu pour organiser l’approvisionnement, le transport et la vente des moutons. Aucun fonds d’appui pour le commerce saisonnier n’est mis en place. Les acteurs du secteur, comme l’APROVIS, sont laissés à l’écart des discussions importantes, et il n’y a pas de dialogue structuré avec l’État. Cette inaction nuit gravement à la filière et à ceux qui en dépendent.
CE QUE NOUS PROPOSONS : UN PACTE NATIONAL POUR UNE TABASKI ORGANISÉE
L’APROVIS propose un plan en cinq axes pour structurer la filière ovine autour de la Tabaski :
1. Planification anticipée dès le mois de mars, avec un calendrier national de la chaîne ovine;
2. Subvention ciblée pour l’aliment bétail et appui vétérinaire aux éleveurs;
3. Création de couloirs logistiques sécurisés avec réduction des péages et des contrôles;
4. Aménagement de parcs modernes dans toutes les grandes villes (eau, sécurité, toilettes, zones d’abattage);
5. Encadrement des prix et régulation de la spéculation.
CHIFFRES CLÉS À RETENIR
• 3 millions de moutons mobilisés chaque année au Sénégal pour la Tabaski.
• 350 milliards FCFA en circulation informelle autour de la fête.
Prix moyen d’un mouton à Dakar : 120 000 F CFA.
• 60% des vendeurs opèrent dans des conditions précaires.
Zéro structure logistique nationale dédiée à la filière ovine.
CONCLUSION : UNE FÊTE DOIT RIMER AVEC ORGANISATION, PAS AVEC HUMILIATION
La Tabaski doit être considérée comme une filière économique saisonnière à part entière. Pour cela, il est urgent d’adopter une politique publique claire, d’encadrer le marché, et d’organiser la chaîne de valeur ovine pour que la fête rime avec dignité et non avec galère. Il est temps d’agir !