ENERGIE : Secteur de l’Électricité; suspension de l’aide américaine, quand le Sénégal perd plus qu’il ne reçoit (Par Thierno Alia Mbengue)

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Le Sénégal a obtenu en décembre 2018 un financement de 550 millions de dollars US (environ 316 milliards de Francs CFA) des États-Unis, via le Millennium Challenge Account (MCA) Sénégal 2, pour renforcer le secteur de l’électricité. Ce programme, prévu sur la période 2021-2026, vise à réaliser trois projets majeurs :

• Projet 1 : Modernisation et renforcement du réseau de transport de la Senelec (Projet Transport)

• Projet 2 : Amélioration de l’accès à l’électricité en zones rurales et périurbaines (Projet Accès) • Projet 3 : Amélioration du cadre légal et renforcement des capacités des acteurs du secteur (Projet Réforme).

Cependant, cette aide est assortie de conditions strictes imposées par le Millennium Challenge Corporation (MCC), allant de la restructuration de la Senelec à l’ouverture du marché à des acteurs privés. Pendant ce temps, le Sénégal continue de perdre des sommes colossales en raison de la fraude d’électricité, des pertes qui dépassent largement les fonds reçus sur la même période.

Un financement sous conditions

L’accord MCA Sénégal 2, signé sous le régime de Macky Sall, s’inscrit dans une dynamique d’amélioration de l’accès à l’électricité. Toutefois, son déblocage a été conditionné par des réformes structurelles profondes exigées par le MCC, notamment :

• La filialisation de Senelec : transformation de l’entreprise nationale en plusieurs entités distinctes.

• L’accès des tiers au réseau : autorisation pour d’autres acteurs d’utiliser le réseau de transport pour assurer leur propre approvisionnement électrique.

• Une ouverture accrue au secteur privé, avec une implication plus importante dans la production, le transport, la distribution et la vente d’électricité.

Bien que présentées comme des mesures de modernisation et de compétitivité, ces réformes soulèvent des interrogations sur la souveraineté énergétique du Sénégal et leur impact sur la viabilité de Senelec, acteur clé du développement économique et social du pays. De plus, l’ouverture du marché de l’électricité a déjà échoué dans certains pays, aggravant le déséquilibre financier du secteur et mettant en péril la souveraineté énergétique nationale. Ces expériences doivent inciter à une réflexion approfondie avant d’adopter des modèles imposés par des bailleurs extérieurs.

Des pertes abyssales qui relativisent l’aide américaine

Pendant que le Sénégal s’efforce d’appliquer ces réformes imposées pour obtenir 316 milliards de Francs CFA du MCC, la Senelec enregistre chaque année près de 100 milliards de Francs CFA de pertes non techniques, principalement dues au vol d’électricité. Sur cinq ans, ces pertes atteignent 500 milliards de Francs CFA, soit près du double de l’aide américaine. Cela signifie que le Sénégal aurait pu dégager bien plus de ressources en luttant efficacement contre la fraude qu’en acceptant un financement conditionné par des réformes structurelles risquées. En clair, le pays dispose de leviers internes pour financer son développement énergétique, sans nécessairement dépendre d’aides extérieures.

Quelle stratégie pour un secteur électrique viable ?

Le constat est sans appel : si le Sénégal ne parvient pas à réduire les pertes non techniques, les réformes imposées par le MCC risquent de ne pas produire les effets escomptés. Dès lors, une question cruciale se pose : fallait-il accepter un financement assorti de conditionnalités externes alors que des réformes internes auraient pu permettre d’économiser davantage sur la même période ?

Plutôt que de dépendre de financements contraignants, une stratégie nationale de réduction drastique des pertes techniques, non techniques et de cost killing pourrait permettre à la Senelec de : • Récupérer des ressources financières considérables.

• Améliorer sa rentabilité et sa capacité d’investissement.

• Garantir une souveraineté énergétique accrue.

Cela nécessiterait des investissements ciblés dans :

• La modernisation du réseau pour réduire les pertes techniques.

• Le renforcement des contrôles et des sanctions contre la fraude.

• L’optimisation de la gouvernance et des performances techniques de la Senelec.

En définitive, si l’aide américaine apporte un soutien financier indéniable, elle ne doit pas détourner l’attention des véritables défis du secteur. La maîtrise des pertes internes et l’optimisation de la gestion doivent être les priorités absolues pour garantir un secteur électrique rentable et souverain.

Plutôt que de se conformer à des réformes dictées par des partenaires extérieurs, le Sénégal doit d’abord et avant tout résoudre ses propres dysfonctionnements pour bâtir un secteur énergétique solide, compétitif et durable.

Thierno Alia MBENGUEI

ngénieur Polytechnicien, MSc Finance & Economics

Adjoint Commissaire à l’Énergie du MONCAP/PASTEF

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