LITTERATURE : Hommage à Madior Diouf, un précurseur de l’enseignement des Lettres africaines à l’UCAD

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Comment introduire ce bouquet d’articles issus du département des « Belles Lettres » françaises et africaines, en hommage au professeur Madior Diouf ? A défaut d’éméritat –qui n’existe point encore dans notre université – la moindre des choses à offrir à notre valeureux collègue était bien ce recueil de « Mélanges ».

Mais comment lui rendre hommage mieux qu’en restituant les origines de l’enseignement de la littérature négro-africaine, dans un département censé n’enseigner que les Lettres françaises par les professeurs français l’animant et le dirigeant ? C’est là que le rôle de Mohamadou Kane, de Madior Diouf et de Papa Gueye Ndiaye fut déterminant. Des premiers assistants sénégalais recrutés dans une faculté française allait dépendre l’orientation de cette faculté : ou ils s’alignaient sur les programmes existants, ayant fait leurs preuves à Bordeaux ou ailleurs en France, ou ils allaient innover, et alors, dans quel sens ? S’ils s’étaient alignés comme ce fut le cas dans les facultés de Martinique, de Guyane et de Guadeloupe, nous aurions attendu jusqu’en 2000 avant de nous pencher sur Césaire, Senghor, Damas, les romanciers d’Afrique francophone et anglophone, ceux des Antilles et d’Haïti. Si aujourd’hui des étudiants viennent à Dakar de France, d’Italie, d’Allemagne et des Etats-Unis, pour étudier les Lettres africaines, c’est grâce au choix que décidèrent les premiers assistants sénégalais en anglais, en portugais, en histoire, en sociologie, en philosophie… Et parmi les tout premiers, en français. Madior, Mohamadou et Papa Guèye NDIAYE. Lorsque j’arrivai en 1971 à l’Université de Dakar, ils étaient trois au département, pas un de plus, jeunes docteurs du 3e cycle. Madior avait en plus suivi un cursus à l’Ecole Normale qui le prédisposait à l’enseignement. Parmi les professeurs toubabs plus âgés et expérimentés, ils faisaient tache, et pas seulement parce qu’ils étaient noirs. Malgré la bienveillance du professeur Gengoux, chef du département, bon spécialiste de Rimbaud, et qui appréciait Baudelaire et Senghor, ces jeunes enseignants « locaux » furent plutôt fraichement accueillis – si je dois en juger par la façon dont on m’accueillit moi-même, en tant que Belge, et pis encore,, « spécialiste de littérature africaine ». C’est qu’en effet les trois Sénégalais avaient fait le choix d’introduire dans leurs programmes de français une heure ou deux consacrées aux écrivains de la Négritude les plus connus. Mohamadou traçait en première année les grands traits de l’histoire de ce mouvement culturel affirmant son indépendance en poèmes virulents contre le colonisateur européen. Madior, lui, abordait les romans de Cheikh Hamidou Kane, Mongo Béti, Oyono et Sadji, qui dénonçaient la politique étrangère de la « table rase » désastreuse pour les cultures autochtones. Papa Guèye enseignait les poèmes de Senghor. Inutile de préciser que cela ne plaisait guère aux représentants de cette politique française, qui se sentaient visés à travers leur histoire récente, même s’ils n’étaient en rien coupables, bien sûr ! Mais à qui se plaindre au pays du poète-président Senghor ? – Au contraire de d’Abidjan où furent sanctionnés, en 1970, treize enseignants « africanistes », à Dakar le département dut tolérer qu’à mon tour, en 1972, j’instaure un cours de méthodologie de la littérature orale.Littérature orale, qu’est-ce que c’est que ça ? Ca n’existe pas ! Folklore, vous voulez dire ? il n’y a de littérature qu’écrite, litterae signifie lettres, écriture, vous voyez bien !Non je ne voyais pas. Et mon unique heure/semaine d’enseignement en licence fut rapidement doublée, vu l’intérêt qu’y apportaient les étudiants.Ainsi, désormais, on se serrait les coudes, et on s’appuyait mutuellement dans les réunions du département, quand il s’agissait de modifier les programmes et d’élargir le temps consacré aux œuvres littéraires africaines.- Entre-temps, on recrutait d’autres enseignants de grammaire, de littérature française : Diarra, Dossévi, puis Sylvia Washington, épouse Bâ qui avait fait une thèse sur Senghor et Nguissaly Sarré spécialiste de grammaire historique. Entre-temps, également, Madior soutient une excellente thèse sur André Demaison. On aurait pu à cette occasion ouvrir un cours sur la littérature coloniale… Mais on avait trop à faire déjà avec les écrivains africains et leur histoire, dont on ne disait rien ou si peu dans l’enseignement secondaire. La réforme des programmes à ce niveau n’eut lieu qu’après 1980.En 1981, l’on considéra les candidatures des deux premiers doctorants de cette même Faculté de Dakar. Il s’agissait d’Amadou LY qui dut assister Madior et Mohamadou en littérature écrite, bien qu’ayant fait sa thèse sur Samba Guéladio, magnifique épopée orale peule. Bassirou Dieng fut recruté en octobre de la même année, avec une thèse aussi belle sur l’épopée wolof du Kajoor. Il fut chargé avec moi de la littérature orale.Samba Dieng entra au département à peu près en même temps que Diakhaté, Signaté, vers 1985. Je m’arrête, car le département n’arrêta plus de s’africaniser.Et les cours de la littérature africaine de s’en trouver singulièrement renforcés. Comme Senghor m’avait aussi affectée à l’IFAN pour constituer un laboratoire de recherche en littérature orale, je pus récupérer les enrégistrements et travaux faits à la fac, pour constituer un premier fonds de la sonothèque. Ceci, en plus des griots et traditionnistes que nous invitions à l’IFAN. Ce laboratoire continue aujourd’hui à fonctionner en relation avec la fac, à travers son responsable, le professeur Amade Faye, spécialiste des textes sérères, et Abdoulaye Keita, wolofo – mandingue hyper-actif.L’enseignement et la recherche en littérature africaine ont eu un côté quelque peu conquérant ! Cela tient peut-être au nombre des études et publications des épopées en quatre langues africaines ; ce qui fit connaitre à l’étranger l’Ecole de Dakar, en Lettres africaines, comme en Histoire (les A. Bathily, B. Barry, I. Thioub, Rokhaya Fall, Penda Mbow, M. Diouf, M. Mbodj, A. Ngayde…). Peut-être aussi parce qu’en Afrique l’histoire et l’épopée se confondent souvent, mais toujours « s’accompagnent ». A Dakar, cependant, histoire et épopées turbulentes, pour prix de leur renommée, ne firent que peu de morts ! Et les African Studies aujourd’hui sont transformées en des masters où coexistent plusieurs disciplines africanistes. Etait-ce l’objectif de notre trio, qui fut quintette, et bientôt orchestre, malgré quelques couacs. Sans doute, car l’amour de la littérature ne nous épanouit vraiment que lorsque nous percevons les connotations issues des autres dimensions de la culture. En mots plus clairs, peut-on jouir à fond d’un roman de Kourouma en ignorant les croyances, les usages, les relations codées, les manières de sentir des Malinke ?A quoi sert la littérature, je vous le demande ? Sinon à rencontrer l’Autre. A danser l’Autre, dirait Senghor.

Lilyan Kesteloot

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